Il y a qq temps, je faisais un article sur l’interconnexion entre le BDSM et le libertinage, (« BDSM or Libertinage, that is the question »). Pour ce faire, je repartais à la genèse de ces deux modes de vies. J'avais arrêté mon « historique » à la fin du XIXème, car le propos de l'article ne nécessitait pas de parler de l'air « moderne » du BDSM. Dernièrement, le thème des différents « courants BDSM » est revenu dans les débats. Et en faisant des recherches pour étayer ma réponse (en gros « Qui, quand » en plus du « quoi » que je connais déjà), l'idée de faire la suite de cette première « Brève histoire du temps du BDSM » m'est venue. En effet, comment a évolué le BDSM entre la fin du XIXème et notre XXIème siècle ? Qu'en est-il de tous ces courants, obédiences, et autres « écrits fondateurs » qui resurgissent régulièrement et alimentent le côté sulfureux du BDSM ? Reprenons donc notre capsule temporelle... Le BDSM, qui ne s'appelle pas encore comme ça, reprend ses lettres de noblesses en Allemagne après la première guerre mondiale. En effet, les clubs ouvrent de nouveau, et la communauté kinky veut célébrer la chute de l'ancien régime.
Le style européen fétichiste, qui est donc d'abord identifiable dans les années 1920 en Allemagne, se répand rapidement en France et en Grande-Bretagne, puis dans le monde entier jusqu'en Inde et en Australie. En 1928, la montée du « BDSM moderne » est décrite dans le « European Fetish ». Le SM avait adopté une esthétique masculine à prédominance «dure». Les images SM de l’époque tournaient autour du cuir poli, du latex et des métaux. Les outils et les situations de SM sont de plus en plus créatives, ingénieuses et complexes. Dans les années 30, la montée du fascisme réprime durement toute « déviance » aux « bonnes mœurs ». La communauté allemande repars dans l'ombre. C'est à ce moment qu’émerge aux Etats-Unis le « Américan fetish ». Dérivé du fetish européen, il va développer sa forme propre depuis les communautés de New-York, mais aussi de Californie. Les fétiches européens et américains étaient à prédominance hétérosexuelle et les deux styles partageaient de nombreux éléments: uniformes, chaussures et bottes à talons hauts, longs gants noirs, piercings et tatouages. Les pratiques comprenaient des jeux de rôle élaborés, le travestissement, la domination féminine et des poneys humains. Le sexe a également une très grande place. Entre les années 40 et 50 émergent les prémices du BDSM qui donnera celui que l'on connait aujourd'hui. C'est aussi à cette époque que le photographe Irwin Klaw alimente l'iconographie BDSM. En effet, il reçoit de plus en plus de demandes de photos de « Demoiselles en détresse ». Il se met donc à produire des images avec sa sœur, puis des modèles tels que Baby Lake, Tempest Storm et Blaze Starr, danseuses burlesques au départ. Le BDSM commence à sortir timidement de l'ombre. Le magazine « Bizarre », jusque dans les années 60, contribue beaucoup à populariser cette image via les images de Klaw et de son modèle Betty Page. Celle-ci deviendra en 1952 le modèle bondage et SM par excellence, inspirant encore aujourd'hui des modèles comme Dita Von Teese. Betty Page délivre un message de recherche à l'épanouissement en assumant sa sexualité. Fin des années 50, Jean-Jacques Pauvert publie sous son nom d'éditeur les livres de Sade, réhabilitant ainsi son œuvre. La censure essaie de les faire retirer, mais elle perd le procès en 1957. C'est également lui qui avait accepté en 1954 de publier un roman conçu au départ pour n'être lu que par une seule personne, « Histoire d'O ». Roman confidentiel au départ (à peine 600 exemplaires d'édités), le prix littéraire qu'il reçoit lui fait rencontrer le succès du public, et entraîne par la même occasion plusieurs interdictions (d'en faire de la publicité, de le vendre aux mineurs, de l'afficher, etc...) et des poursuites pour « outrage aux bonnes mœurs », même si le procès n'a jamais eu lieu. C'est également à cette époque que Madame Jeanne de Berg édite ses premiers récits masochistes, censuré bien entendu. Apparaît également le personnage de Gwendoline, dans une bande dessinée créée par John Alexander Scott Coutts dans les années 1950. Il engendre un succès certain au sein du milieu sado-masochiste et même en dehors. Gwendoline est une icône du bondage, version moderne et occidentale du shibari, et sera même adaptée au cinéma (en 1984). Dans les années 60, c'est le dessinateur Eric Stanton qui illustre le BDSM dans des BD mettant le plus souvent en scène les fantasmes de ses commanditaires. Mais les activités sont très underground. Et le BDSM se vie en cercle très restreints et privés. Dans les années 70, c'est à San Francisco que le BDSM sort totalement de l'ombre, profitant de la libération des mœurs et des idéologies. Une anthropologue et sociologue, Gini Graham Scott, écrit un état des lieux de la communauté à laquelle elle est affiliée. La communauté s'organise alors en « cercles ». On trouve « l'église SM », cercle prônant la gynarchie, où les personne Dominantes sont exclusivement des femmes. Les cérémonies sont calquées sur les rites chrétiens, mais la figure adorée est la Déesse qui ressemble fort à une version moderne d'Astaté). Mais ce cercle s'étiole vite, fréquenté essentiellement par des hommes frustrés par le nombre trop faible de femmes. « Samois », organisation lesbienne active jusqu'en 1983, dont le nom vient d'une héroïne du livre « Histoire d'O ». Le groupe se crée d'ailleurs au départ pour protester contre la censure du livre. Ses membres militent essentiellement pour le droit des lesbiennes, de la pornographie et du SM. Elles éditent dans les années 80 le premier « manuel SM ». La « Société de Gemini », un groupe d'une cinquantaine de personnes (hommes Dominants et femmes soumises). Le « Club 15 » (encore actif sous le nom de « The 15 »). Un cercle d'hommes homosexuels alliant soirées, événements, conférences, munchs, etc... Et enfin « La société de Janus » (la plus ancienne). Créée dans un but informatif au départ, elle recense encore aujourd'hui des événements BDSM pour ceux qui veulent découvrir le milieu, organisant également régulièrement quelques soirées. Au sein de la communauté, les termes utilisés à l'époque sont « domi-soumission », « bondage et discipline », « sadomasochisme ». Les premières « querelles de clochers » naissent quand à savoir quelles pratiques sont BDSM, quelles autres ne le sont pas. Les termes « Top » et « Bottom » apparaissent dans le langage BDSM à cette époque également. Dans les années 80, l'accès à la première version d'internet est facilité par le déploiement des terminaux notamment au sein des universités et des structures militaires. Cela permet à la communauté de se retrouver autour des premiers forums de discussions, sur usenet notamment. Mais malgré tout, des lieux informels pour rencontrer les pratiquants étaient quasi inexistant. C'est à cette époque que, toujours à San Francisco via un groupe usenet, naissent les munch (« Munch » signifiant « grignoter », et étant la spécialité, le « Burger Munch », du restaurant où ont eu lieu les premières rencontres). C'est aussi à cette époque qu’apparaît une classification des relations BDSM en 9 degrés allant de la simple relation épisodique à une relation Propriétaire-esclave. Cette “classification” des “9 degrés de la soumission” est une toute petite partie d’un fascicule édité dans les années 80 par une maison d’édition de Boston spécialisé dans les ouvrages LGBT. En 1983, l'acronyme SSC (Sûr, Sain et Consensuel) apparaît, inventé par David Stein, pour bien faire comprendre la différence entre les pratiques BDSM et les agissements violents. En France, c'est le minitel qui permet à la communauté de se rencontrer en ligne. Des sites de tchats naissent, un des plus anciens étant « Démonia » (qui deviendra ensuite un magazine de vente par correspondance, puis la boutique que l'on connaît bien aujourd'hui). Via ces sites, c'est une vraie communauté qui se met en place. Le livre de Jeanne de Berg « Cérémonie de femme » paraît en 1985 chez Grasset, mettant en lumière la domination féminine, très peu visible à l'époque. Dans les années 1990, finalement, le sigle BDSM fut adopté pour une seule et unique sexualité plurielle fusionnant ainsi bondage, discipline, domination et soumission (D&S), et SM (pour sadomasochisme), conciliant ainsi ces différentes pratiques en une seule. Parait alors un livre majeur pour le BDSM moderne : Le Lien (1993) de Vanessa Duirès. Récit autobiographique de l’initiation de l'auteure aux pratiques SM par son Maître, Pierre. Mais le BDSM reste assez « underground », même si les œuvres du Marquis de Sade entrent dans les éditions de la Pléiade, et que le « porno-chic » (terme datant des années 70) est récupéré par la pop culture notamment par des artistes tels que Madona ou le groupe Eurythmics. On est alors loin du cliché caricatural du sadomasochisme hard et potentiellement dangereux. Il revêt une image sophistiquée et devient un jeu érotique à la mode destiné à pimenter les relations sexuelles. Mais le « noyau dur » de la communauté reste dans l'ombre, pratiquant dans des lieux privés, ou tout au moins privatisés le temps d'une soirée, et accessibles uniquement par cooptation. C'est à cette époque qu'aurait été écrit le fameux « Manifeste des 10 ». Un texte posant les bases du BDSM SSC créé par 10 couples de la scène SM Parisienne. C'est également à cette époque que le mot "Shibari" (bondage japonais) se repend pour désigner le bondage à base de cordes, ou Kinbaku. C'est à la fin des années 90 que les munchs se répandent dans tout le monde anglo-saxon, et commencent à arriver en Europe. En France, MasterMind, paix à son âme, et sa soumise salomé ainsi que Monsieur Patrick et Madame Gala Fur, contribuent à diffuser dans les médias une image affranchie de la violence que l'on prête au BDSM. L'acronyme RACK (Risk Aware Consensual Kink) est proposé en 1999 pour remplacer le SSC, beaucoup se plaignant que le « Sûr » est trop souvent compris comme « sans risque ». La communauté restant divisée depuis sur le sujet. Le début des années 2000 marque la fin de ce que beaucoup appellent « Les 30 glorieuses du BDSM ». L'agonie de usenet et du minitel voit la montée des groupes MSN sur le thème du BDSM. SecondLife, qui naît en 2003, regroupe aussi quelques adeptes du BDSM. Le « porno-chic » est de plus en plus présent et banalise les relations BDSM. Le port de la cage de chasteté prend un essor considérable chez les soumis. Il semblerait que de cette banalisation naît une frénésie à cloisonner, codifier le BDSM. Les « 12 règles de la soumise » écrites initialement par MasterMind pour Salomé, dont le livre sort en 2002, sont reprises et érigées, contre leur volonté, en règles à suivre à tout prix. Un livre sort en 2003 « Les amis de Germanicus » (cercle actif dans les années 90), écrit par un auteur se disant de ses membres. Y est décrit par le menu une « méthode » de Domination, dite latine. C'est dans ce livre que sont aussi répertoriées les catégories qui diviserait le BDSM en obédiences :
Mais cet écrit est avant tout une vision personnelle sans aucune valeur universelle. Personne faisant partie de la scène SM de l'époque n'ayant connaissance de cette personne... En 2011 sort la série de livres érotico-romantique « 50 nuances ». Fan de Twillight, dont elle veut au départ faire un fan-book, son auteure utilise l'argument du BDSM pour essayer de donner un peu plus de relief à son histoire. Malgré la somme impressionnante de clichés obsolètes sur le BDSM, et le fait qu'il acte une vision très patriarcale, le livre rencontre un énorme succès, et permet à nouveau à toute une génération de découvrir le BDSM. Le net et les réseaux sociaux sont envahis de sites, blogs, forums, plus ou moins sérieux sur le sujet. Les classifications et écrits du début des années 2000 sont reprises à tors et à travers et brandis comme des idéologies fondatrices du BDSM, à suivre obligatoirement. Aujourd'hui, les membres sérieux de la communauté œuvrent surtout pour que les dérives du net ne gangrènent pas le BDSM, et que celui ci reste une façon d'appréhender sa relation à l'autre de façon Saine, Sûre, et Consensuelle. La littérature BDSM est accessible au grand public via des maisons d'éditions spécialisées telle que La Musardine, Tabou, etc... Les arguments BDSM fleurissent dans les séries télévisées. Espérons que l'évolution des mentalités permettra bientôt de pouvoir vivre notre nature BDSM comme chacun le désire. Malheureusement, le retour du puritanisme qui semble se profiler ne présage rien rien de bon. J'espère que cet article aura su vous intéresser, même s'il est un peu long. Je ne mets pas, sciemment, mes sources, car en une semaine de recherches, je ne compte plus le nombre de pages diverses, textes, biographies, extraits d’émissions, etc, ne contenant certaines qu'un petit passage, ou une phrase, concernant mon sujet. Je n'ai pas non plus fait mention des Goréens, n'ayant pas trouvé de textes fiables quand aux dates où la communauté s'est emparée de cette série de livre pour en faire un courant parallèle (J'ai bien entendu les dates de parutions des livres, et de leur interdictions, mais c'est tout). Si vous avez des sources à ce sujet, je suis preneuse ! Si vous trouvez que cet article peut intéresser des gens de votre entourage, n'hésitez pas à le partager ! Merci de m'avoir lu. Et... Enjoy !
2 Commentaires
Nicolas
25/10/2019 21:08:36
Bonjour,
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La Fille de Mars
9/11/2019 16:56:41
Je ne modère que les commentaires haineux et insultants :)
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Août 2022
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