Qui a eu cette idée folle, un jour d'inventer l'école...

Et bien ce n'est justement pas ce sacré Charlemagne (Pour ceux qui sont un peu trop jeune pour connaître, j'ai mis une vidéo en toute fin d'article).

Enfin, pas en BDSM… 

Mais alors, d'où viennent ces écoles anglaises, latines, orientales et gothiques, dont on entend régulièrement parler ? Ont-elles une réalité historique ? Sont-elles réellement la structure du BDSM ?
Image création ©LaFilleDeMars2019 pour cet article - No Use / No copy

Tout d’abord, je vais dédicacer cet article à tous ceux qui écoutent/lisent sans approfondir.  Parlent sans réfléchir. Affirment sans savoir. Répètent sans comprendre (avec un clin d’œil spécial aux haineux qui préjugent des intentions des autres, juste parce qu'elles leurs échappent...)

J'ai eu envie de faire cet article  car ces "écoles BDSM" reviennent souvent dans les discussions sur le net. Et leur évocation divise toujours. Certains ne jurent que par elles, les autres les raillant.

J'ai donc voulu en savoir plus, afin de pouvoir affirmer ma position, non pas de façon épidermique, mais en me basant sur un contenu factuel. 

Mais déjà, qu’est-ce que sont ces “écoles BDSM”. 

Le texte où sont évoquées ces écoles est le fameux “livre” de Maître Bob.

Il nous y explique que les façons de pratiquer le BDSM sont “découpées” en 4 écoles *:

“Il existe quatre grandes familles ou écoles ou obédiences. L’école Anglaise, l’école Latine, l’école Orientale et l’école Gothique. Ce sont quatre chemins différents mais qui mènent au même endroit. Quatre tireurs qui visent la même cible, qui poursuivent le même objectif mais qui le font avec des moyens très différents, en empruntant des routes très distantes, des chemins plus ou moins escarpés et  accidentés, plus ou moins risqués” 

“L’obédience orientale qui en réalité est extrême orientale, a sa source au japon. L’école orientale est née et a grandi sans influence des autres obédiences qui ont toutes les trois des racines communes en occident.
Les Japonais sont surtout connus pour la qualité de leurs bondages [...] Les Orientaux ont la réputation d’être d’une grande rudesse dans leurs pratiques. Certains parleront même de sauvagerie”

“Les Anglo-saxons, chez nous en occident, ont, eux aussi, cette réputation justifiée de brutalité souvent gratuite. Quand un «Maître» anglo-saxon prétend faire progresser son (sa) soumis(e), bien souvent, il faut comprendre qu’il augmente progressivement la force des coups qu’il lui inflige.”

“Pour les Gothiques la dimension cérébrale est aussi de grande importance [...] Les Gothiques ont [...] une dimension mystique à la pratique de leur art. Il est nécessaire de croire en Dieu pour être Sm Gothique”

“La voie latine est la plus rapide car la plus efficace mais aussi la plus difficile, la moins théâtrale et la plus cérébrale. Les actions qui y sont menées sont mûrement réfléchies, pesées et mesurées.”

(extraits du texte “Les Amis de Germanicus”. Maître Bob 2003)** 

La suite du livre est une ode à "l'école Latine", "meilleure des meilleures", dont il se réclame, avec force détails sur les "méthodes" de cette école, qu'il appelle "Le cadre des œuvres". Il passe quasiment sous silence l'école orientale, et montre une grande tolérance envers l'école gothique qu'il dit proche de l'école latine, le côté mystique en plus, sans pour autant nous en dire plus.

Mais une grande part du livre est une diatribe contre "l'école anglaise", qu'il accuse des pires turpitudes avec force détails sordides. Il décrit également ce qu'il affirme être leurs méthodes et protocole, fait référence à d'autres textes (les 12 règles de la soumise, les 9 degrés de soumissions)publiant même un tableau qu'il affirme être celui d'évaluation des soumis(e)s de l'école anglaise. 


Voici donc pour ce que sont ces “écoles” d'après "Maître Bob".

Mais sur quoi se base-t-il pour affirmer que “Ces appellations, Anglo-saxons, Latins, Gothiques ou Extrême-Orientaux, font référence aux origines historiques et n’ont plus aucun rapport avec l’implantation géographique ni même culturelle des gens qui se réclament de ces diverses obédiences” ?

Parce que si ce que dit ce Maître Bob a une réalité historique, il existe des textes antérieurs à 2003, date de l'écriture de son livre, qui doivent y faire référence. Ou tout au moins, une tradition orale. 

C’est ce que j’ai essayé de savoir. J’ai donc fait un certains nombre de recherches personnelles, mais me suis aussi tournée vers les acteurs “historiques” de la scène SM dès 1980.

Et tous sont unanimes : Il n’y a aucune réalité historique aux affirmations de “Maître Bob”. 

Voyons pour les textes à notre disposition. 

Le seul texte antérieur aux “Amis de Germanicus” qui essaient de “codifier” les pratiques BDSM d'un cercle est “Le manifeste des 10”, écrit dans le début des années 80. 

Sir John nous éclaire sur ce texte : “C'est Maître Françoys qui a écrit le Manifeste des 10. Mais à aucun moment il n'a souhaité élever cela au rang de dogme. C'était plus un essais de mettre par écrit les rapports mis en oeuvre au sein de leur groupe d'amis.
C'est aussi à ma connaissance une des première tentative "moderne" de définir la nature de ces rapports. Mais cela n'a aucune intention prosélytique.”

Et aucune trace dans ce manifeste de cette histoire d’école. 

Tournons nous donc vers la tradition orale.

Mais là encore, rien. 

“Cette histoire ‘d’école BDSM’ n’a aucune réalité.
Depuis 37 ans que j’organise des soirées, j’ai en effet pu constater des différences dans les façons de pratiquer. Mais c’est surtout un rapport géographique et culturel. 
Les nordiques/slaves sont plus rock’nroll. Ils entrent et sortent très rapidement dans le jeu. Pas ou peu de préalables. Un peu d'after care, mais c’est vraiment la pratique qui est au cœur de leur relation. 
Les européens vont être plus cérébraux. 
Les anglais plutôt dans le ‘cosplay’ avec des tenues d’écoliers/écolières, éducation à l'anglaise... (en référence à l'éducation dispensée dans les écoles et collèges anglais et faisant la part belle aux châtiments corporels. NDLR). 
Les orientaux sont surtout axés shibari. Sinon, leurs pratiques sont très proches des nôtres” nous dit Monsieur Pascal, du club "Cris et Chuchotements", qui a l'habitude de recevoir des kinkster de tout pays dans ses soirées Parisiennes. 

“Ce qu'il faut bien avoir en tête, c'est qu'il n'y a en réalité aucune "école" ou courant réellement officiel ou influant -à ma connaissance-
Il s'agit en réalité plus de petites tentatives (souvent mégalomanes) apparues au sein de groupes de personnes [...] se réunissant dans le privé.
Il y a plusieurs textes allant en ce sens (dont certaines tentatives encore très contemporaines via des sites dédiés).
Mais je le répète, ce ne sont que des phénomène très ponctuels et ne touchant en fait que très peu de personnes…” Précise Sir John, de La Communauté du Triskel

Il compare d’ailleurs ce phénomène au fameux “prieuré de Sion”, dont Dan Brown nous parle dans son livre “Da Vinci Code”

“En réalité ce fameux prieuré de Sion "gardien du Graal", n'a jamais été qu'une association fondée en France en 1956 par Pierre Plantard et son complice le comédien Philippe de Chérisey. En réalisant des faux, ils ont tous deux montés de toute pièce cette organisation qu'ils font remonter aux templiers. Bien sûr ils étaient membre de cette organisation et détenteurs des secrets de l'ordre. Ils assouvissaient ainsi un complexe lié au fait que l'un et l'autre auraient tant aimé être chevaliers…” (Sir John)

On en revient donc là… Comme je le démontrais dans un autre article “Le club, cercle BDSM d'exception”, ces “écoles” ou “obédiences” dont se réclament certains sont surtout l’expression d’un fantasme et d’un attrait (pathologique ?) pour les sociétés secrètes… 

Seul Madame Gala Fur m’a parlé d’un enseignement dispensé dans les années 80. Mais sans lien avec les écoles cités par Bob :
“Il y a eu Doma, qui était un donjon-école dirigé par une femme dans les années 80-90, ainsi qu'une école pour former du personnel de maison masculin en Allemagne, dont je n'ai plus entendu parler autre qu'à travers les fantasmes de mes hommes de ménage. Elle a existé car j'ai connu un masochiste, serviteur à plein temps d'un Corse, puis de son fils, un marchand de vaisselle de la rue du Paradis, et qui pouvait avoir 65 ans dans les années 1990.”


Si on en croit toutes les sources que je cite ici, mais d'autres également qui m'ont répondu sur les réseaux sociaux et forums, il apparaît que ce concept structuré de 4 écoles de Domination soit donc bien l’invention d’un seul homme, Maître Bob (qui n’avait pas que ce pseudo, d'ailleurs).

Que celui-ci essaya de faire largement adopter sa théorie en écrivant son texte, y ajoutant une “aura de mysticisme” et en le diffusant via les réseaux de discussion MSN-groupes et Yahoo-groupes en France, avant de migrer au Québec. Où il semble que certains se soient emparés de ses concepts pour développer leur propre courant de pensée. 

“Je ne connais pas ( comme beaucoup de gens me semble-t’il dans mes connaissances ) de personnes faisant partie de ces obédiences  [...]... on me rétorquera que c'est peut-être parce que je suis un mauvais, faux, maître … [...]
Les rares blogs francophones à ce sujet étant souvent d'une part éphémères et d'autre part tenu en France par la même et unique personne ( qui gérait ceci-dit les groupes de discussions msn et yahoo ... ).Il semble que ce seul interlocuteur "qui avait bien connu Maître Bob" soit disparu dans les limbes depuis lors [...]
Par contre, il est vrai qu'après coup, pas mal de gens mais surtout du côté canadien se sont fortement intéressés à ces concepts et s'en sont appropriés quelques idées et pistes de réflexions...” me précise Maître Charles. 


Maître Bob a dû s’inspirer des “courants éducatifs” cité un peu plus haut par Monsieur Pascal pour inventer ses “écoles BDSM", et il a brodé sur ces concepts à l’excès. 

Mais qu’est-ce qui permet de discréditer ce texte? En quoi peut-on dire qu'il n’est pas une réalité universelle et mais l'invention d’un homme qui n’y connaissait pas grand chose en réalité au reste du BDSM de l'époque ? 

Il y a 3 indices fondamentaux qui me permettent d’avancer mon affirmation. 

• Déjà, même si on part du postulat que ce texte est fiable, il est écrit dans le texte que ces théories ne sont pas communes à tous les membres de l'obédience latine, mais que de grandes différences s’observent en son sein. Mais également au seins de chaque cercles. Donc, pourquoi ça le serait pour les autres écoles qu'il décrit ? On repassera pour le côté “universelle” donc...

 

• Maître Bob déclare à un moment que “Le cercle de Germanicus”, qui se réclame de l’aristocratie (!) comporte… 12 membres ! (“Comme les 12 apôtre… Le tout étant de savoir qui faisait Judas” comme me l’a commenté Monsieur Doberman lors de notre entretient)
  Donc cette théorie est, au mieux, partagée par 12 personnes… Et encore, pas sûr, si on se réfère à son affirmation précédente…

 

• Il cite les 12 règles de la soumise et les 9 niveaux de soumissions et un tableau qu'il sort de son chapeau et dont, à ce jour, je ne sais pas d'où il vient, comme étant des bases des méthodes  essentielles de l’école anglaise… (je vous incite à lire les articles déjà paru sur ces thèmes pour comprendre en quoi c’est totalement absurde…)

 

• Il se focalise sur le chiffre 3 (qu’il nomme la “trilogie SM”, mais ne l'explique à aucun moment.) Parle-t-il du SSC, ces 3 axes communément admis comme articulant la pratique du BDSM ? Mais dans ce cas, pourquoi en faire une espèce de chiffre cabalistique qui revient régulièrement dans le texte, si ce n’est pour se donner cette fameuse “aura mystique” ? 

Et je vous passe cette introduction où il parle de sa "légitimité", où ce qu'il nous décrit un pedigree digne de loges maçonniques; Les références à d'autres ouvrages, écrits par d'autres membres de l'école latine, qu'il mentionne mais qui n'existent pas; Le manque d'ISBN (obligatoire pour tout livre publié), la maison d'édition totalement inconnue... 

Je pense que nous avons assez d’éléments pour maintenant démystifier cette histoire “d’écoles BDSM”, qui n'existe en fait que pour ceux qui s’en réclament. 

Alors on vous opposera que ces cercles dépositaires du savoir de ces écoles, et le dispensant à leurs adeptes, sont cachés, secrets, et que c’est pour ça que vous ne les connaissez pas… 

C'est possible, en effet, qu'il existe ce genre de cercles ayant "brodés" autour des théories de Bob.

Mais en quoi un secret d’alcôve, dont nous avons mis en lumière le côté anecdotique, connue par une petite poignée d’individus, rend la chose plus légitime et permet de la poser en valeur universelle, voir être LA voie traditionnelle du BDSM  ? 

N’oublions pas que c’est l’argument phare de toutes les théories du complot à laquelle s'apparente cette histoire “d’école BDSM”.

Car vous l’avez vu, le texte le plus vieux où cette notion apparaît est le texte de Maître Bob et celui-ci ne peut être reconnu comme fiable. Et je n’ai eu aucun retour sur des textes antérieurs, ou même des témoignages d’une tradition orale en faisant mention. 

Et si on peut voir que les ouvrages écrits au XIXème siècle sur “les bonnes manières dans la haute société” servent bien souvent de base à la création des protocoles en vigueur (j’y reviendrai dans un prochain article), dès que des personnes se placent en dépositaire d’un “savoir ancestrale” du BDSM, on s'aperçoit que c’est juste la vision d’une poignée de personnes.

En conclusion, je dirais que si la théorie de Bob vous parle et vous inspire pour construire VOTRE vision du BDSM, c’est très bien.

Mais soyez conscient que tout ce que l’on vous “vend” comme étant un BDSM historique, n’est bien souvent qu’une vision anecdotique de quelques hommes et femmes, qui ont juste mis par écrit un jour LEUR vision PERSONNELLE, et dont le net s’est emparé pour en faire LA vérité. 


Remerciements
Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont guidé ma réflexion, m’ont envoyé les documents en leur possession et ont répondu patiemment à mes questions. 

Je citerais donc Madame Gala Fur, Sir John Demonange, Maître Georges, Monsieur Pascal, Maître Charles, Monsieur Doberman, Monsieur Sultan, Monsieur Guillaume pour leur aide active dans cet article.

Ainsi que tous ceux qui m’ont répondu sur les groupes fetlife, ma page facebook et les forums de discussions. 

Merci à mes lecteurs (avec un clin d’œil à Elise)  qui par leurs questions me permettent de toujours améliorer mon propos pour plus de compréhension.


* Les passages en italique sont des citations directes du texte de Bob, ainsi que des témoignages reçus lors de mes interview, citées avec l'accord de mes interlocuteurs. 

** Les passages soulignés renvoient à des ressources complémentaires. N'hésitez pas à cliquer dessus pour plus de précisions

N'hésitez à diffuser largement le lien vers cet article si vous pensez qu’il peut aider vos amis et contacts.

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